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LETTRE LXXXVI.


grandes salles, où l’on ne voit que des gens dont l’habit est encore plus grave que la figure. Enfin, on entre dans le lieu sacré où se révèlent tous les secrets des familles, et où les actions les plus cachées sont mises au grand jour.

Là, une fille modeste vient avouer les tourments d’une virginité trop longtemps gardée, ses combats et sa douloureuse résistance ; elle est si peu fière de sa victoire qu’elle menace toujours d’une défaite prochaine ; et, pour que son père n’ignore plus ses besoins, elle les expose à tout le peuple. [1]

Une femme effrontée vient ensuite exposer les outrages qu’elle a faits à son époux, comme une raison d’en être séparée.

Avec une modestie pareille, une autre vient dire qu’elle est lasse de porter le titre de femme sans en jouir ; elle vient révéler les mystères cachés dans la nuit du mariage ; elle veut qu’on la livre aux regards des experts les plus habiles, et qu’une sentence la rétablisse dans tous les droits de la virginité. Il y en a même qui osent défier leurs maris, et leur demander en public un combat que les témoins rendent si difficile ; épreuve aussi flétrissante pour la femme qui la soutient, que pour le mari qui y succombe. [2]

Un nombre infini de filles, ravies ou séduites, font les

  1. Cf. Esprit des lois, XXXII, 8. Suivant la loi romaine reçue en France, dans les provinces du Midi, les filles pouvaient contraindre leur père à les doter. V. inf., lettre CXXIV à la fin.
  2. C’est ce qu’on appelait le congrès. Boileau s’en raille dans la satire des femmes. V. les Mémoires de Mathieu Marais, t. III, p. 288, 321, 330 ; IV, 497 et 587, ainsi que le Recueil des pièces contenues au procès de M. le marquis de Gesvres et de Mlle Mascranny, sa femme. Rotterdam, 1714, 2 vol. in-12.