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LETTRE LXXVIII.


amoureux. Ils sont les premiers hommes du monde pour mourir de langueur sous la fenêtre de leurs maîtresses ; et tout Espagnol qui n’est pas enrhumé ne saurait passer pour galant.

Ils sont premièrement dévots, et secondement jaloux. Ils se garderont bien d’exposer leurs femmes aux entreprises d’un soldat criblé de coups, ou d’un magistrat décrépit : mais ils les enfermeront avec un novice fervent qui baisse les yeux, ou un robuste franciscain qui les élève.

Ils permettront à leurs femmes de paraître avec le sein découvert : mais ils ne veulent pas qu’on leur voie le talon, et qu’on les surprenne par le bout des pieds. [1]

On dit partout que les rigueurs de l’amour sont cruelles ; elles le sont encore plus pour les Espagnols. Les femmes les guérissent de leurs peines ; mais elles ne font que leur en faire changer : et il leur reste souvent [2] un long et fâcheux souvenir d’une passion éteinte.

Ils ont de petites politesses, qui, en France, paraîtraient mal placées : par exemple, un capitaine ne bat jamais son soldat, sans lui en demander permission ; et l’inquisition ne fait jamais brûler un juif sans lui faire ses excuses.

Les Espagnols qu’on ne brûle pas paraissent si attachés à l’inquisition, qu’il y aurait de la mauvaise humeur de la leur ôter. Je voudrais seulement qu’on en établit

  1. A. C. rédigent ainsi ce paragraphe : « Ils connoissent mieux que les autres le foible des femmes ; ils ne veulent pas qu'on leur voie le talon et qu'on les surprenne par le bout des pieds : ils savent que l'imagination va toujours, que rien ne l'amuse en chemin ; elle arrrive et là on étoit quelquefois averti d'avance. »
  2. A. C. Il leur reste toujours; etc.