Page:Montesquieu - Œuvres complètes, éd. Laboulaye, t1.djvu/276

Cette page n’a pas encore été corrigée
254
LETTRES PERSANES.



LETTRE LXXVI.[1]


USBEK A SON AMI IBBEN.


A SMYRNE.


Les lois sont furieuses en Europe contre ceux qui se tuent eux-mêmes. On les fait mourir, pour ainsi dire, une seconde fois ; ils sont traînés indignement par les rues ; on les note d’infamie, on confisque leurs biens.

Il me paraît, Ibben, que ces lois sont bien injustes. Quand je suis accablé de douleur, de misère, de mépris, pourquoi veut-on m’empêcher de mettre fin à mes peines, et me priver cruellement d’un remède qui est en mes mains ?

Pourquoi veut-on que je travaille pour une société dont je consens de n’être plus ? que je tienne, malgré moi, une convention qui s’est faite sans moi ? La société est fondée sur un avantage mutuel ; mais, lorsqu’elle me devient onéreuse, qui m’empêche d’y renoncer ? La vie m’a été donnée comme une faveur, je puis donc la rendre lorsqu’elle ne l’est plus ; la cause cesse, l’effet doit donc cesser aussi.

Le prince veut-il que je sois son sujet, quand je ne

  1. On retrouve cette apologie du suicide dans les Considérations sur les causes de la grandeur des Romains, ch. XIII, à la fin. Conf. Esprit des lois, XIV, 12.