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LETTRES PERSANES.


pour les hommes, que je ne pouvais me lasser de l’admirer. Ah ! bon Dieu, dis-je en moi-même, si, lorsque j’étais à la cour de Perse, je représentais ainsi, je représentais un grand sot ! Il aurait fallu, Rica, [1] que nous eussions eu un bien mauvais naturel, pour aller faire cent petites insultes à des gens, qui venaient tous les jours chez nous nous témoigner leur bienveillance. Ils savaient bien que nous étions au-dessus d’eux ; et, s’ils l’avaient ignoré, nos bienfaits le leur auraient appris chaque jour. N’ayant rien à faire pour nous faire respecter, nous faisions tout pour nous rendre aimables : nous nous communiquions aux plus petits ; au milieu des grandeurs, qui endurcissent toujours, ils nous trouvaient sensibles ; ils ne voyaient que notre cœur au-dessus d’eux ; nous descendions jusqu’à leurs besoins. Mais, lorsqu’il fallait soutenir la majesté du prince dans les cérémonies publiques ; lorsqu’il fallait faire respecter la nation aux étrangers ; lorsque enfin, dans les occasions périlleuses, il fallait animer les soldats, nous remontions cent fois plus haut que nous n’étions descendus ; nous ramenions la fierté sur notre visage ; et l’on trouvait quelquefois que nous représentions assez bien.

De Paris, le 10 de la lune de saphar, 1715.

  1. A. C. Usbek.