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LETTRES PERSANES.


enfin souvenez-vous de moi, qui n’espère de repos, de fortune, de vie, que de votre changement. Je la quittai tout transporté, et la laissai seule décider la plus grande affaire que je pusse avoir de ma vie.

J’y retournai deux jours après. Je ne lui parlai point ; j’attendis, dans le silence, l’arrêt de ma vie ou de ma mort. Vous êtes aimé, mon frère, me dit-elle, et par une guèbre. J’ai longtemps combattu : mais, dieux ! que l’amour lève de difficultés ! Que je suis soulagée ! Je ne crains plus de vous trop aimer ; je puis ne mettre point de bornes à mon amour : l’excès même en est légitime. Ah ! que ceci convient bien à l’état de mon cœur ! Mais vous, qui avez su rompre les chaînes que mon esprit s’était forgées, quand romprez-vous celles qui me lient les mains ? Dès ce moment, je me donne à vous : faites voir par la promptitude avec laquelle vous m’accepterez, combien ce présent vous est cher. Mon frère, la première fois que je pourrai vous embrasser, je crois que je mourrai dans vos bras. Je n’exprimerais jamais bien la joie que je sentis à ces paroles : je me crus et je me vis en effet, en un instant, le plus heureux de tous les hommes : je vis presque accomplir tous les désirs que j’avais formés en vingt-cinq ans de vie, et évanouir tous les chagrins qui me l’avaient rendue si laborieuse. Mais, quand je me fus un peu accoutumé à ces douces idées, je trouvai que [1] je n’étais pas si près de mon bonheur que je me l’étais figuré tout à coup, [2] quoique j’eusse surmonté le plus grand de tous les obstacles. Il fallait surprendre la vigilance de ses gardiens ; je n’osais confier à personne le secret de ma vie : je n’avais que ma sœur,

  1. A. Je vis que, etc.
  2. A. C. Que je m'étois figuré tout à coup.