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LETTRES PERSANES.


de mon mari, à quelque prix que ce soit : je le ferai si bien enrager, qu’il faudra bien qu’il me donne des marques d’amitié. Il ne sera pas dit que je ne serai pas battue, et que je vivrai dans la maison sans que l’on pense à moi. La moindre chiquenaude qu’il me donnera, je crierai de toute ma force, afin qu’on s’imagine qu’il y va tout de bon ; et je crois que, si quelque voisin venait au secours, je l’étranglerais. Je vous supplie, ma chère mère, de vouloir bien représenter à mon mari qu’il me traite d’une manière indigne. Mon père, qui est un si honnête homme, n’agissait pas de même ; et il me souvient, lorsque j’étais petite fille, qu’il me semblait quelquefois qu’il vous aimait trop. Je vous embrasse, ma chère mère. »


Les Moscovites ne peuvent point sortir de l’empire, fut-ce pour voyager. [1]Ainsi, séparés des autres nations par les lois du pays, ils ont conservé leurs anciennes coutumes avec d’autant plus d’attachement, qu’ils ne croyaient pas qu’il fût possible d’en avoir d’autres. [2]

Mais le prince qui régne à présent [3] a voulu tout changer ; il a eu de grands démêlés avec eux au sujet de leur barbe : le clergé et les moines n’ont pas moins combattu en faveur de leur ignorance. [4]

Il s’attache à faire fleurir les arts, et ne néglige rien pour porter dans l’Europe et l’Asie la gloire de sa nation, oubliée jusqu’ici, et presque uniquement connue d’elle-même.

Inquiet, et sans cesse agité, il erre dans ses vastes

  1. A. C. Quand ce seroit pour voyager.
  2. A. C. Qu’il fût possible qu’on pût en avoir d’autre.
  3. Pierre le Grand. V. Esprit des lois, XIX, 14.
  4. Perry rapporte, dans son État présent de la Moscovie, que les moines brûlèrent les premières presses qui arrivèrent dans le pays, et s’opposèrent de tout leur pouvoir à l’établissement de l’imprimerie. (Note de l’édition Dalibon, Paris, 1826.)