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164.
LETTRES PERSANES.



LETTRE XLVI

USBEK À RHEDI.[1]


à venise.


Je vois ici des gens qui disputent sans fin sur la religion ; mais il semble qu’ils combattent en même temps à qui l’observera le moins.

Non-seulement ils ne sont pas meilleurs chrétiens, mais même meilleurs citoyens ; et c’est ce qui me touche : car, dans quelque religion qu’on vive, l’observation des lois, l’amour pour les hommes, la piété envers les parents, sont toujours les premiers actes de religion.

En effet, le premier objet d’un homme religieux ne doit-il pas être de plaire à la divinité qui a établi la religion qu’il professe ? Mais le moyen le plus sûr, pour y parvenir, est sans doute d’observer les règles de la société et les devoirs de l’humanité. Car, en quelque religion qu’on vive, dès qu’on en suppose une, il faut bien que l’on suppose aussi que Dieu aime les hommes, puisqu’il

  1. On trouvera les mêmes sentiments, exprimés avec non moins de vivacité, dans une lettre adressée par Franklin au célèbre prédicateur Whitefleld, et datée de Philadelphie, 6 juin 1753. À l’époque où écrivait Montesquieu, de pareilles idées étaient malsonnantes, et accusaient chez l’auteur une grande hardiesse.