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LETTRE XXXV.


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prophètes faisaient passer au fil de l’épée, parce qu’ils refusaient de croire aux miracles du ciel : ils sont plutôt comme ces malheureux qui vivaient dans les ténèbres de l’idolâtrie, avant que la divine lumière vînt éclairer le visage de notre grand prophète.

D’ailleurs, si l’on examine de près leur religion, on y trouvera comme une semence de nos dogmes. J’ai souvent admiré les secrets de la Providence, qui semble les avoir voulu préparer par là à la conversion générale. J’ai ouï parler d’un livre de leurs docteurs, intitulé la Polygamie triomphante, dans lequel il est prouvé que la polygamie est ordonnée aux chrétiens. [1] Leur baptême est l’image de nos ablutions légales ; et les chrétiens n’errent que dans l’efficacité qu’ils donnent à cette première ablution, qu’ils croient devoir suffire pour toutes les autres. Leurs prêtres et leurs moines prient, comme nous, sept fois le jour. Ils espèrent de jouir d’un paradis, où ils goûteront mille

  1. Le livre auquel Usbek fait allusion est intitulé Polygamia triumphatrix, id est discursus politicus de polygamia, auctore Theophilo Aletheo, cum notis Athanasii Vincentii, omnibus anti-polygamis, ubique locorum, terrarum, insularum, pagorum, urbium, modeste et pie opposita. Lundini Scanorum, sumptibus auctoris, post annum 1682, in-4o.

    Quoique le titre porte pour lieu d’impression Lund, ville de Suède, l’ouvrage a été certainement imprimé en Hollande, et suivant toute apparence à Amsterdam.

    L’auteur y soutient en quatre-vingt-dix thèses, défendues à la façon scolastique, la légitimité et la sainteté de la polygamie, dans l’Ancien et le Nouveau Testament. Le commentaire alourdit singulièrement ce paradoxe, déjà insoutenable par lui-même ; le tout remplit un volume qui n’a pas moins de 564 pages.

    L’auteur est John Lyser ; le nom du commentateur est inconnu. On a prononcé celui de Puffendorf ; mais la chose est peu probable. Puffendorf avait plus d’esprit.

    Sur le livre et l’auteur, qui ne méritaient pas la célébrité que leur donne Montesquieu, on peut voir Bayle, Dictionn., art. Jean Lyser, et Œuvres, t. I, p. 256 ; Niceron, Mémoires, t. XXXIX, p. 386 et suiv. ; Brucker, Hist. phil., V, p.768 ; VI, p. 336.