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LETTRES PERSANES.


brûler un homme comme de la paille. Quand on tombe entre les mains de ces gens-là, heureux celui qui a toujours prié Dieu avec de petits grains de bois à la main, [1] qui a porté sur lui deux morceaux de drap attachés à deux rubans, [2] et qui a été quelquefois dans une province qu’on appelle la Galice ! [3] Sans cela, un pauvre diable est bien embarrassé. Quand il jurerait, comme un païen, qu’il est orthodoxe, on pourrait bien ne pas demeurer d’accord des qualités, et le brûler comme hérétique : il aurait beau donner sa distinction ; point de distinction ; il serait en cendres avant que l’on eût seulement pensé à l’écouter.

Les autres juges présument qu’un accusé est innocent ; ceux-ci le présument toujours coupable. Dans le doute, ils tiennent pour règle, de se déterminer du côté de la rigueur ; apparemment parce qu’ils croient les hommes mauvais. Mais, d’un autre côté, ils en ont si bonne opinion, qu’ils ne les jugent jamais capables de mentir ; car ils reçoivent le témoignage des ennemis capitaux, des femmes de mauvaise vie, de ceux qui exercent une profession infâme. Ils font, dans leur sentence, un petit compliment à ceux qui sont revêtus d’une chemise de soufre, et leur disent qu’ils sont bien fâchés de les voir si mal habillés, qu’ils sont doux, qu’ils abhorrent le sang, et sont au désespoir de les avoir condamnés ; mais, pour se consoler, ils confisquent tous les biens de ces malheureux à leur profit. [4]

  1. Un chapelet.
  2. Un scapulaire.
  3. En pèlerinage à Saint-Jacques de Compostelle.
  4. Il faut joindre à cette lettre la très-humble remontrance aux inquisiteurs d’Espagne et de Portugal (Esprit des lois, XXV, 13), chef-d’œuvre d’ironie et de vertueuse indignation. Voyez aussi Esprit des lois, XXVI, 11 et 12.