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LETTRES PERSANES.


grande quantité me serait inutile : je ne prendrai point de la peine pour rien.

Les terres de ce petit royaume n’étaient pas de même nature : il y en avait d’arides et de montagneuses ; et d’autres qui, dans un terrain bas, étaient arrosées de plusieurs ruisseaux. Cette année, la sécheresse fut très-grande, de manière que les terres qui étaient dans les lieux élevés manquèrent absolument, tandis que celles qui purent être arrosées furent très-fertiles : ainsi les peuples des montagnes périrent presque tous de faim, par la dureté des autres, qui leur refusèrent de partager la récolte.

L’année d’ensuite fut très-pluvieuse : les lieux élevés se trouvèrent d’une fertilité extraordinaire, et les terres basses furent submergées. La moitié du peuple cria une seconde fois famine ; mais ces misérables trouvèrent des gens aussi durs qu’ils l’avaient été eux-mêmes.

Un des principaux habitants avait une femme fort belle ; son voisin en devint amoureux, et l’enleva : il s’émut une grande querelle ; et, après bien des injures et des coups, ils convinrent de s’en remettre à la décision d’un Troglodyte qui, pendant que la république subsistait, avait eu quelque crédit. Ils allèrent à lui, et voulurent lui dire leurs raisons. Que m’importe, dit cet homme, que cette femme soit à vous, ou à vous ? [1] J’ai mon champ à labourer, je n’irai peut-être pas employer mon temps à terminer vos différends, et à travailler [2] à vos affaires, tandis que je négligerai les miennes. Je vous prie de me laisser en repos, et de ne m’importuner plus de vos querelles. Là-dessus, il les quitta, et s’en alla travailler sa terre [3]. Le ravisseur,

  1. A. Soit à moi ou à vous.
  2. A. Et travailler.
  3. A. Ses terres.