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tribunal parjure, son arène sera le cachot souterrain, un ennemi tout-puissant sera son arbitre et son juge.

« Vaincu, l’arbre desséché de la potence sera son monument funèbre. Pour toute gloire, pour toute immortalité, il aura les larmes si vite essuyées d’une femme et les longs entretiens nocturnes de ses concitoyens. »


Cette élégie s’est trouvée être à la fois une histoire et une prophétie. Elle résumait dès 1830 ce que la jeunesse polonaise avait déjà enduré, ce qu’elle devait endurer encore et tant que durera la domination moscovite. Mais en justifiant cette poésie qui a été une dénonciation non moins qu’une lamentation, la domination russe a atteint le cœur humain dans ce qu’il a de plus intime et de moins impunément vulnérable. Elle a ainsi armé contre elle-même deux forces qui sont le plus souvent étrangères aux mouvements politiques des temps modernes : les femmes et les prêtres[1]. Elle a porté ses mains homicides jusque sur ces assises fondamentales de la nature humaine que Dieu permet quelquefois aux tyrans de méconnaître et d’écraser, mais jamais d’anéantir.

Je sens qu’ici il faut parler vite et peu. Il faut courir à grands pas à travers ces régions sombres, sanglantes, enflammées. Et cependant il faut bien constater en passant comment on respecte en Pologne, sous le régime moscovite, ce fameux programme en trois articles : « la religion, la famille, la propriété, » qui a servi de drapeau à tous les conservateurs de l’Europe après la catastrophe de 1848, et qui a été invoqué partout pour justifier les victoires ou les exigences de l’ordre public et de la monarchie.

  1. « Les prêtres et les femmes ! voilà ce qui entretient l’insurrection en Lithuanie. » Mot du général Mourawieff, cité dans la correspondance du Temps du 8 octobre 1863.