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CHAPITRE XIII.

rien à me cacher ; car je suis instruit de votre affaire, si avant que vous ne feriez qu’empirer votre marché d’essayer à le couvrir. Vous savez bien telle chose et telle (qui étaient les tenants et aboutissants des plus secrètes pièces de cette menée) ; ne faillez sur votre vie, à me confesser la vérité de tout ce dessein.

Quand ce pauvre homme se trouva pris et convaincu (car tout avait été découvert à la reine par l’un des complices), il n’eut qu’à joindre les mains et requérir la grâce et miséricorde de ce prince, aux pieds duquel il se voulut jeter ; mais il l’en garda, suivant ainsi son propos.

— Venez çà ; vous ai-je autrefois fait déplaisir ? ai-je offensé quelqu’un des vôtres par haine particulière ? Il n’y a pas trois semaines que je vous connais ; quelle raison vous a pu mouvoir à entreprendre ma mort ?

Le gentilhomme répondit à cela, d’une voix tremblante, que ce n’était aucune occasion particulière qu’il en eût, mais l’intérêt de la cause générale de son parti, et qu’aucuns lui avaient persuadé que ce serait une exécution pleine de piété, d’extirper, en quelque manière que ce fût, un si puissant ennemi de leur religion.

— Or, suivit ce prince, je vous veux montrer combien la religion que je tiens est plus douce que celle de quoi vous faites profession. La vôtre vous a conseillé de me tuer sans m’ouïr, n’ayant reçu de moi aucune offense ; et la mienne me commande que je vous pardonne, tout convaincu que vous êtes de m’avoir voulu tuer sans raison. Allez-vous-en, retirez-vous ; que je ne vous voie plus ici ; et, si vous êtes sage, prenez dorénavant en vos entreprises des conseillers plus gens de bien que ceux-là.