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ESSAIS DE MONTAIGNE

Au jugement de la vie d’autrui, je regarde toujours comment s’en est porté le bout ; et des principales études de la mienne, c’est qu’il se porte bien.


CHAPITRE XIII.

divers événements de même conseil.


Jacques Amyot, grand-aumônier de France, me récita un jour cette histoire à l’honneur d’un prince des nôtres (et nôtre était-il à très-bonnes enseignes, encore que son origine fût étrangère[1]), que, durant nos premiers troubles, au siége de Rouen, ce prince ayant été averti, par la reine, mère du Roi, d’une entreprise qu’exf aisait sur sa vie, et instruit particulièrement par ses lettres de celui qui la devait conduire à chef, qui était un gentilhomme angevin ou manceau, fréquentant lors ordinairement pour cet effet la maison de ce prince, il ne communiqua à personne cet avertissement ; mais se promenant le lendemain au mont Sain te-Catherine, d’où se faisait notre batterie à Rouen (car c’était au temps que nous la tenions assiégée), ayant à ses côtés ledit seigneur grand-aumônier et un autre évêque, il aperçut ce gentilhomme qui lui avait été remarqué, et le fit appeler. Comme il fut en sa présence, il lui dit ainsi, le voyant déjà pâlir et frémir des alarmes de sa conscience : — Monsieur de tel lieu, vous vous douiez bien de ce que je vous veux, et votre visage me le montre. Vous n’avez

  1. Le duc de Guise, surnommé le Balafré, de la maison de Lorraine.