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CHAPITRE III.

à qui je tomberai en charge. Et est saintement dit à un saint :

Curatio funeris, conditio sepulturæ, pompa exsequiarum, magis sunt vivorum solatia, quam subsidia mortuorum[1].

Pourtant, Socrate à Criton, qui sur l’heure de sa fin lui demande comment il veut être enterré : « Comme vous voudrez, » répondit-il. Si j’avais à m’en empêcher[2] plus avant, je trouverais plus galant d’imiter ceux qui entreprennent, vivants et respirant, de jouir de l’ordre et honneur de leur sépulture, et qui se plaisent de voir en marbre leur morte contenance. Heureux qui sachent réjouir et gratifier leurs sens par l’insensibilité, et vivre de leur mort !

À peu[3] que je n’entre en haine irréconciliable contre toute domination populaire, quoiqu’elle me semble la plus naturelle et équitable, quand il me souvient de cette inhumaine injustice du peuple athénien, de faire mourir sans rémission, et sans les vouloir seulement ouïr en leurs défenses, ces braves capitaines venant de gagner, contre les Lacédémoniens, la bataille navale près les îles Arginenses, la plus contestée, la plus forte bataille que les Grecs aient oncques donnée en mer de leurs forces, parce qu’après la victoire ils avaient suivi les occasions que la loi de la guerre leur présentait, plutôt que de s’arrêter à recueillir et inhumer leurs morts. Et rend cette exécution plus odieuse le fait de Diomédon. Celui-ci est

  1. Le soin des funérailles, le choix de la sépulture, la pompe des obsèques, sont moins nécessaires à la tranquillité des morts qu’à la consolation des vivants. (Saint Augustin, Cité de Dieu, I, 12.)
  2. À m’en embarrasser.
  3. Peu s’en faut.