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ESSAIS DE MONTAIGNE.

pondit qu’il ne commencerait point sur sa fin à tourner le dos à l’ennemi ; et ayant combattu autant qu’il eut de force, se sentant défaillir et échapper du cheval, commanda à son maître d’hôtel de le coucher au pied d’un arbre, mais que ce fût en façon qu’il mourut le visage tourné vers l’ennemi, comme il fit.

Ce conte me déplut, qu’un grand me fit d’un mien allié, homme assez connu et en paix et en guerre : c’est que, mourant bien vieil en sa cour, tourmenté de douleurs extrêmes de la pierre, il amusa toutes ses heures dernières, avec un soin véhément, à disposer l’honneur et la cérémonie de son enterrement, et somma toute la noblesse qui le visitait, de lui donner parole d’assister à son convoi ; à ce prince même, qui le vit sur ses derniers traits, il fit une instante supplication, que sa maison fût commandée de s’y trouver, employant plusieurs exemples et raisons à prouver que c’était chose qui appartenait à un homme de sa sorte ; et sembla expirer content, ayant retiré cette promesse et ordonné à son gré la distribution et ordre de sa montre. Je n’ai guère vu de vanité si persévérante.

Cette autre curiosité contraire, en laquelle je n’ai point aussi faute d’exemple domestique, me semble germaine à celle-ci, d’aller se soignant et passionnant à ce dernier point à régler son convoi à quelque particulière et inusitée parcimonie, à un serviteur et une lanterne. Je vois louer cette humeur, et l’ordonnance de Marcus Æmilius Lepidus, qui défendit à ses héritiers d’employer pour lui les cérémonies qu’on avait accoutumé en telles choses.

Je laisserai purement la coutume ordonner de cette cérémonie, et m’en remettrai à la discrétion des premiers