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CHAPITRE XXX.

Mais il faut mettre aux pieds cette sotte vanité, et secouer vivement et hardiment les fondements ridicules sur quoi ces fausses opinions se bâtissent. Tant qu’il pensera avoir quelque moyen et quelque force de soi, jamais l’homme ne reconnaîtra ce qu’il doit à son maître ; il fera toujours de ses œufs poules, comme on dit : il le faut mettre en chemise.

Voyons quelque notable exemple de l’effet de sa philosophie : Posidonius, étant pressé d’une si douloureuse maladie, qu’elle lui faisait tordre les bras et grincer les dents, pensait bien faire la figue à la douleur pour s’écrier contre elle : « Tu as beau faire, si ne dirai-je pas que tu sois mal. » Il sent même passion que mon laquais ; mais il se brave, sur ce qu’il contient au moins sa langue sous les lois de sa secte. Arcésilas étant malade de la goutte, Carnéades, qui le vint visiter, s’en retournait tout fâché ; il le rappela, et, lui montrant ses pieds et sa poitrine : « Il n’est rien venu de là ici, » lui dit-il. Celui-ci a un peu meilleure grâce, car il sent avoir du mal, et en voudrait être dépêtré ; mais, de ce mal pourtant, son cœur n’en est pas abattu ni affaibli : l’autre se tient en sa raideur, plus, ce crains-je, verbale qu’essentielle. Et Dionysius d’Héraclée, affligé d’une cuisson véhémente des yeux, fut rangé à quitter ces résolutions stoïques.

Mais quand la science ferait par effet ce qu’ils disent, d*émousser et rabattre l’aigreur des infortunes qui nous suivent, que fait-elle que ce que fait beaucoup plus purement l’ignorance, et plus évidemment ? Le philosophe Pyrrhon, courant en mer le hasard d’une grande tourmente, ne présentait à ceux qui étaient avec lui, à imiter,