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ESSAIS DE MONTAIGNE.

un pied et un fondement divin, les occasions humaines n’auraient pas le pouvoir de nous ébranler comme elles ont ; notre fort ne serait pas pour se rendre à une si faible batterie ; l’amour de la nouvelleté, la contrainte des princes, la bonne fortune d’un parti, le changement téméraire et fortuit de nos opinions n’auraient pas la force de secouer et altérer notre croyance ; nous ne la laisserions pas troubler à la merci d’un nouvel argument et à la persuasion, non pas de toute la rhétorique qui fût oncques ; nous soutiendrions ces flots, d’une fermeté inflexible et immobile.

Si ce rayon de la divinité nous touchait aucunement, il y paraîtrait partout ; non-seulement nos paroles, mais encore nos opérations en porteraient la lueur et le lustre ; tout ce qui partirait de nous, on le verrait illuminé de cette noble clarté. Nous devrions avoir honte qu’aux sectes humaines il ne fut jamais partisan, quelque difficulté et étrangeté que maintînt sa doctrine, qui n’y conformât aucunement ses déportements et sa vie : et une si divine et céleste institution ne marque les chrétiens que par la langue ! Voulez-vous voir cela ? Comparez nos mœurs à un mahométan, à un païen ; vous demeurez toujours au-dessous : là où, au regard de l’avantage de notre religion, nous devrions luire en excellence d’une extrême et incomparable distance ; et devrait-on dire : « Sont-ils si justes, si charitables, si bons ? Ils sont donc chrétiens. » Toutes autres apparences sont communes à toutes religions ; espérance, confiance, événements, cérémonies, pénitence : la marque particulière de notre vérité devrait être notre vertu, comme elle est aussi la plus céleste marque et la plus difficile, et comme