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CHAPITRE XXX.

légiée, pour la pouvoir concevoir et loger en nous, et ne crois pas que les moyens purement humains en soient aucunement capables ; et, s’ils l’étaient, tant d’âmes rares et excellentes, et si abondamment garnies de forces naturelles aux siècles anciens, n’eussent pas failli, par leur discours, d’arriver à cette connaissance. C’est la foi seule qui embrasse vivement et certainement les hauts mystères de notre religion ; mais ce n’est pas à dire que ce ne soit une très-belle et très-louable entreprise d’accommoder encore au service de notre foi les outils naturels et humains que Dieu nous a donnés i, il ne faut pas douter que ce ne soit l’usage le plus honorable que nous leur saurions donner, et qu’il n’est occupation ni dessein plus digne d’un homme chrétien que deviser, par toutes ses études et pensements, à embellir, étendre et amplifier la vérité de sa créance. Nous ne nous contenions point de servir Dieu d’esprit et d’âme, nous lui devons encore et rendons une révérence corporelle ; nous appliquons nos membres mêmes, et nos mouvements, et les choses externes à l’honorer : il en faut faire de même et accompagner notre foi de toute la raison qui est en nous ; mais toujours avec cette réservation, de n’estimer pas que ce soit de nous qu’elle dépende, ni que nos efforts et arguments puissent atteindre à une si supernaturelle et divine science. Si elle n’entre chez nous par une infusion extraordinaire, si elle y entre non-seulement par discours, mais encore par moyens humains, elle n’y est pas en sa dignité ni en sa splendeur : et certes je crains pourtant que nous ne la jouissions que par cette voie. Si nous tenions à Dieu par l’entremise d’une foi vive ; si nous tenions à Dieu par lui, non par nous ; si nous avions