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CHAPITRE XXX.

des hommes doctes, les recevant chez lui comme personnes saintes et ayant quelque particulière inspiration de sagesse divine, recueillant leurs sentences et leurs discours comme des oracles et avec d’autant plus de révérence et de religion qu’il avait moins de loi d’en juger ; car il n’avait aucune connaissance des lettres, non plus que ses prédécesseurs.

Moi, je les aime bien ; mais je ne les adore pas.

Quelques jours avant sa mort, mon père, ayant de fortune rencontré la Théologie naturelle de Raimond Scbond, sous un tas d’autres papiers abandonnés, me commanda de la lui mettre en français. Il fait bon de traduire les auteurs comme celui-là, où il n’y a guère que la matière à représenter ; mais ceux qui ont donné beaucoup à la grâce et à l’élégance du langage, ils sont dangereux à entreprendre, nommément pour les rapporter à un idiome plus faible. C’était une occupation bien étrange et nouvelle pour moi ; mais étant de fortune pour lors de loisir, et ne pouvant rien refuser au commandement du meilleur père qui fut oncques, j’en vins à bout comme je pus : à quoi il prit un singulier plaisir et donna charge qu’on le fît imprimer ; ce qui fut exécuté après sa mort. Je trouvai belles les imaginations de cet auteur, la contexture de son ouvrage bien suivie et son dessein plein de piété. Parce que beaucoup de gens s’amusent à le lire, et notamment les dames à qui nous devons plus de service, je me suis trouvé souvent à même de les secourir, pour décharger leur livre de deux principales objections qu’on lui fait. Sa fin est hardie et courageuse ; car il entreprend, par raisons humaines et naturelles, d’établir et vérifier contre les athéistes tous