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ESSAIS DE MONTAIGNE.

comme nous de sa famille, elle a raisoa de nous enjoindre quelque respect et affection envers elles. Pythagore emprunta la métempsycose dos Égyptiens ; mais depuis elle a été reçue par plusieurs nations, et notamment par nos druides : la religion de nos anciens Gaulois portait que les âmes étant éternelles ne cessaient de se remuer et changer de place d’un corps à un autre ; mêlant en outre à cette fantaisie quelque considération de la justice divine ; car selon les déportements de l’âme, pendant qu’elle avait été chez Alexandre, ils disaient que Dieu lui ordonnait un autre corps à habiter, plus ou moins pénible, et rapportant à sa condition : si elle avait été vaillante, ils la logeaient au corps d’un lion ; si voluptueuse, en celui d’un pourceau ; si lâche, en celui d’un cerf ou d’un lièvre ; si malicieuse, en celui d’un renard ; ainsi du reste, jusqu’à ce que, purifiée par ce châtiment, elle reprenait le corps de quelque autre homme.

Quant à ce cousinage-là, d’entre nous et les bêtes, je n’en fais pas grande recette, ni de ce aussi que plusieurs nations, et notamment des plus anciennes et plus nobles, ont non-seulement reçu des bêtes à leur société et compagnie, mais leur ont donné un rang bien loin au-dessus d’eux, les estimant tantôt familières et favorites de leurs dieux, et les ayant en respect et révérence plus qu’humaine, et d’autres ne reconnaissant autre Dieu ni autre divinité qu’elles. Et l’interprétation même que Plutarque donne à cette erreur, qui est très-bien prise, leur est encore honorable : car il dit que ce n’était pas le chat ou le bœuf (pour exemple) que les Égyptiens adoraient ; mais qu’ils adoraient en ces bêtes-là quelque image des facultés divines : en celle-ci, la patience et l’utilité ; en