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ESSAIS DE MONTAIGNE.

d’appeler la mort pour la crainte d’une mort plus âpre et insupportable, ayant conçu opinion, par les apprêts qu’il avait vu faire en la place, qu’on le voulût tourmenter de quelque horrible supplice, et sembla être délivré de la mort pour l’avoir changée.

Je conseillerais que ces exemples de ligueur, par le moyen desquels on veut tenir le peuple en office, s’exerçassent contre les corps des criminels : car de les voir priver de sépulture, de les voir bouillir et mettre à quartiers, cela toucherait quasi autant le vulgaire que les peines qu’on fait souffrir aux vivants ; quoique, par effet, ce soit peu ou rien. Je me rencontrai un jour à Rome, sur le point qu’on défaisait Catena, un voleur insigne ; on l’étrangla, sans aucune émotion de l’assistance ; mais quand on vint à le mettre à quartiers, le bourreau ne donnait coup que le peuple ne suivît d’une voix plaintive et d’une exclamation, comme si chacun eût prêté son sentiment à cette charogne. Il faut exercer ces inhumains excès contre l’écorce, non contre le vif. Ainsi amollit, en cas aucunement pareil, Artaxerxès l’àpreté des lois anciennes de Perse, ordonnant que les seigneurs qui avaient failli en leur charge, au lieu qu’on les soûlait fouetter, fussent dépouillés, et leurs vêtements fouettés pour eux ; et, au lieu qu’on leur soûlait arracher les cheveux, qu’on leur ôtât leur haut chapeau seulement.

Je vis en une saison en laquelle nous abondons en exemples incroyables de ce vice, par la licence de nos guerres civiles, et ne voit-on rien aux histoires anciennes de plus extrême que ce que nous en essayons tous les jours ; mais cela ne m’y a nullement apprivoisé. A peine me pouvais-je persuader, avant que je l’eusse vu, qu’il