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CHAPITRE XXIX.

les avait menacés de les faire mettre en croix, il les y condamna, mais ce fut après les avoir fait étrangler. Philémon, son secrétaire, qui l’avait voulu empoisonner, il ne le punit pas plus aigrement que d’une mort simple. » Sans dire qui est cet auteur latin qui ose alléguer pour témoignage de clémence de seulement tuer ceux desquels on a été offensé, il est aisé à deviner qu’il est frappé des vilains et horribles exemples de cruauté que les tyrans romains mirent en usage.

Quant à moi, en la justice même, tout ce qui est au-delà de la mort simple me semble pure cruauté ; et notamment à nous qui devrions avoir respect d’envoyer les âmes en bon état ; ce qui ne se peut, les ayant agitées et désespérées par tourments insupportables. Ces jours passés, un soldat prisonnier ayant aperçu d’une tour où il était que le peuple s’assemblait en la place et que des charpentiers y dressaient leur ouvrage, crut que c’était pour lui ; et, entré en la résolution de se tuer, ne trouva qui l’y pût secourir qu’un vieux clou de charrette rouillé, que la fortune lui offrit : de quoi il se donna premièrement deux grands coups autour de la gorge ; mais, voyant que ç’avait été sans effet, bientôt après il s’en donna un tiers dans le ventre où il laissa le clou fiché. Le premier de ses gardes qui entra où il était le trouva en cet état, vivant encore, mais couché et tout affaibli do ses coups. Pour employer le temps avant qu’il défaillit, on se hâta de lui prononcer sa sentence ; laquelle ouïe, et qu’il n’était condamné qu’à avoir la tête tranchée, il sembla reprendre un nouveau courage, accepta du vin qu’il avait refusé, remercia ses juges de la douceur inespérée de leur condamnation ; qu’il avait pris parti