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CHAPITRE XXIX.

de Saturninus, tribun du peuple à Rome, qui voulait à toute force faire passer une loi injuste en faveur de la commune, et ayant encouru par là les peines capitales que Saturninus avait établies contre les refusants, entretenait ceux qui en cette extrémité le conduisaient en la place, de tels propos : que c’était chose trop facile et trop lâche que de mal faire ; et que de faire bien où il n’y eût point de danger, c’était chose vulgaire ; mais de faire bien où il y eût danger, c’était le propre office d’un homme de vertu.

Ces paroles de Metellus nous représentent bien clairement ce que je voulais vérifier, que la vertu refuse la facilité pour compagne ; et que cette aisée, douce et penchante voie, par où se conduisent les pas réglés d’une bonne inclination de nature, n’est pas celle de la vraie vertu : elle demande un chemin âpre et épineux ; elle veut avoir, ou des difficultés étrangères à lutter, comme celle de Metellus, par le moyen desquelles fortune se plaît à lui rompre la raideur de sa course, ou des difficultés internes que lui apportent les appétits désordonnés et imperfections de notre condition.

Je suis venu jusqu’ici bien à mon aise : mais, au bout de ce discours, il me tombe en fantaisie que l’âme de Socrate serait, à mon compte, une âme de peu de recommandation : car je ne puis concevoir en ce personnage aucun effort de vicieuse concupiscence ; au train de sa vertu, je n’y puis imaginer aucune difficulté ni aucune contrainte ; je connais sa raison si puissante et si maîtresse chez lui qu’elle n’eût jamais donné moyen à un appétit vicieux seulement de naître ; à une vertu si élevée que la sienne je ne puis rien mettre en tête ; il me