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CHAPITRE XXVIII.

quoi je suis incapable : ainsi sont les opuscules de Plutarque et les épîtres de Sénèque, qui sont la plus belle partie de leurs écrits et la plus profitable. Il ne faut pas grande entreprise pour m’y mettre ; et je les quitte où il me plaît, car elles n’ont point de suite et dépendance des unes aux autres. Ces auteurs se rencontrent en la plupart des opinions utiles et vraies ; comme aussi leur fortune les fit naître environ même siècle, tous deux précepteurs de deux empereurs romains, tous deux venus de pays étranger, tous deux riches et puissants. Leur instruction est de la crème de la philosophie, et présentée d’une simple façon et pertinente. Plutarque est plus uniforme et constant ; Sénèque plus ondoyant et divers : celui-ci se peine, se raidit et se tend pour armer la vertu contre la faiblesse, la crainte et les vicieux appétits ; l’autre semble n’estimer pas tant leurs efforts et dédaigner d’en hâter son pas et se mettre sur sa garde. Plutarque a les opinions platoniques, douces et accommodables à la société civile ; l’autre les a stoïques et épicuriennes, plus éloignées de l’usage commun, mais, selon moi, plus commodes en particulier et plus fermes. Il paraît en Sénèque qu’il prête un peu à la tyrannie des empereurs de son temps. Plutarque est libre partout. Sénèque est plein de pointes et saillies, Plutarque de choses. Celui-là vous échauffe plus et vous émeut ; celui-ci vous contente davantage et vous paie mieux; il nous guide, l’autre nous pousse.

Quant à Cicéron, les ouvrages qui me peuvent servir chez lui à mon dessein, ce sont ceux qui traitent de la philosophie, spécialement morale. Mais, à confesser hardiment la vérité (car, puisqu’on a franchi les barrières de