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CHAPITRE XXVII.

histoires étant pleines d’exemples de cette amitié commune des pères envers les enfants, il ne m’a pas semblé hors de propos d’en trier aussi quelqu’un de celle-ci. Il y eut un Labienus à Rome, personnage de grande valeur et autorité, et, entre autres qualités, excellent en toute sorte de littérature, qui était, ce crois-je, fils de ce grand Labienus, le premier des capitaines qui furent sous César en la guerre des Gaules, et qui depuis s’étant jeté au parti du grand Pompée, s’y maintint si valeureusement, jusqu’à ce que César le défit en Espagne : ce Labienus, de quoi je parle, eut plusieurs envieux de sa vertu, et, Gomme il est vraisemblable, les courtisans et favoris des empereurs de son temps pour ennemis de sa franchise, et des humeurs paternelles qu’il retenait encore contre la tyrannie, desquelles il est croyable qu’il avait teint ses écrits et ses livres. Ses adversaires poursuivirent devant le magistrat à Rome, et obtinrent de faire condamner plusieurs siens ouvrages, qu’il avait mis en lumière, à être brûlés. Ce fut par lui que commença ce nouvel exemple de peine, qui depuis fut continué à Rome à plusieurs autres, de punir de mort les écrits mêmes et les études. Il n’y avait point assez de moyen et matière de cruauté, si nous n’y mêlions des choses que nature a exemptées de tout sentiment et de toute souffrance, comme la réputation et les inventions de notre esprit, et si nous n’allions communiquer les maux corporels aux disciplines et monuments des Muses. Or, Labienus ne put souffrir cette perte, ni de survivre à cette sienne si chère géniture : il se fit porter et enfermer tout vif dans le monument de ses ancêtres ; là où il pourvut tout d’un train à se tuer et à s’enterrer ensemble. Il est malaisé de