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ESSAIS DE MONTAIGNE

et que vous connaissiez ce qui est à vous, suivant l’inscription delphique. Moi, qui fais les lois, tiens que ni vous n’êtes à vous, ni n’est à vous ce que vous jouissez. Et vos biens et vous, êtes à votre famille, tant passée que future ; mais encore plus sont au public et votre famille et vos biens. Parquoi, de peur que quelque flatteur, en votre vieillesse ou en votre maladie, ou quelque passion vous sollicite mal à propos de faire testament injuste, je vous en garderai ; mais, ayant respect et à l’intérêt universel de la cité et à celui de votre famille, j’établirai des lois, et ferai sentir, comme de raison, que la commodité particulière doit céder à la commune. Allez-vous-en doucement et de bonne voglie[1], où la nécessité humaine vous appelle ; c’est à moi, qui ne regarde pas l’une chose plus que l’autre, qui, autant que je puis, me soigne du général, d’avoir souci de ce que vous laissez. »

Revenant à mon propos, il me semble, en toutes façons, qu’il naît rarement des femmes à qui la maîtrise soit due sur des hommes, sauf la maternelle et naturelle, si ce n’est pour le châtiment de ceux qui, par quelque humeur fiévreuse, se sont volontairement soumis à elles : mais cela ne touche aucunement les vieilles, de quoi nous parlons ici. C’est l’apparence de cette considération qui nous a fait forger et donner pied si volontiers à cette loi, que nul ne vit oncques, qui prive les femmes de la succession de cette couronne : et n’est guère seigneurie au monde où elle ne s’allègue, comme ici, par une vraisemblance de raison qui l’autorise : mais la fortune lui a

  1. Volonté.