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ESSAIS DE MONTAIGNE

propos, quand c’est contre un pauvre vieillard, et pour des enfants, lors empoignent-elles ce titre, et en servent leur passion avec gloire et, comme en un commun servage, monopolent facilement contre sa domination et gouvernement. Si ce sont mâles grands et florissants, ils subornent aussi incontinent, ou par force, ou par faveur, et maître-d’hôtel, et receveur, et tout le reste. Ceux qui n’ont ni femme ni fils tombent en ce malheur plus difficilement, mais plus cruellement aussi et indignement. Le vieux Caton disait en son temps que « autant de valets, autant d’ennemis.  » Voyez si, selon la distance de la pureté de son siècle au nôtre, il ne nous a pas voulu avertir que femme, fils et valets, autant d’ennemis à nous[1].

Bien sert à la décrépitude de nous fournir le doux bénéfice d’inapercevance et d’ignorance, et facilité à nous laisser tromper. Si nous y mordions, que serait-ce de nous, même en ce temps où les juges, qui ont à décider nos controverses, sont communément partisans de l’enfance, et intéressés ? Au cas que cette piperie m’échappe à voir, au moins ne m’échappe-t-il pas à voir que je suis très-pipable. Et aura-t-on jamais assez dit de quel prix est un ami, à comparaison de ces liaisons civiles ? L’image même que j’en vois aux bêtes, si pure, avec quelle religion je la respecte ! Si les autres me pipent, au moins ne me pipé-je pas moi-même à m’estimer capable de m’en garder, ni à me ronger la cervelle pour m’en rendre ; je me sauve de telles trahisons en mon propre giron, non par une inquiète et tumultuaire

  1. Ces pensées seraient trop désespérantes ; des chrétiens ont d’autres sentiments.