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CHAPITRE XXVII.

Je veux mal à cette coutume d’interdire aux enfants l’appellation paternelle, et leur en enjoindre une étrangère, comme plus révérentielle, nature n’ayant volontiers pas suffisamment pourvu à notre autorité[1]. Nous appelons Dieu tout-puissant Père, et dédaignons que nos enfants nous en appellent : j’ai réformé cette erreur en ma famille[2]. C’est aussi folie et injustice de priver les enfants qui sont en âge de la familiarité des pères, et vouloir maintenir en leur endroit une morgue austère et dédaigneuse, espérant par là les tenir en crainte et obéissance ; car c’est une farce très-inutile, qui rend les pères ennuyeux aux enfants, et, qui pis est, ridicules. Ils ont la jeunesse et les forces en la main, et, par conséquent, le vent et la faveur du monde, et reçoivent avec moquerie ces mines fières et tyranniques d’un homme qui n’a plus de sang ni au cœur ni aux veines ; vrais épouvantails de chènevière. Quand je pourrais me faire craindre, j’aimerais encore mieux me faire aimer. Il y a tant de sortes de défauts en la vieillesse, tant d’impuissance ; elle est si propre au mépris, que le meilleur acquêt qu’elle puisse faire, c’est l’affection et amour des siens ; le commandement et la crainte, ce ne sont plus ses armes.

J’en ai vu quelqu’un, duquel la jeunesse avait été très-impérieuse ; quand c’est venu sur l’âge, quoiqu’il le passe

  1. Comme si la nature n’avait, pas assez bien pour eu à notre autorité.
  2. Le bon roi Henri IV la réforma aussi dans sa famille : « Car il ne voulait pas, dit Pérélixe, que ses enfants l’appelassent monsieur, nom qui semble rendre les enfants étrangers à leur père, et qui marque la servitude et la sujétion, mais qu’ils l’appelassent papa, nom de tendresse et d’amour. » (Hist. de Henri-le-Grand.)