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ESSAIS DE MONTAIGNE

valeureux soldat, mais d’un capitaine fameux ; la science d’obéir ne méritait pas un loyer si honorable. On y requérait anciennement une expertise bellique plus universelle, et qui embrassât la plupart et les plus grandes parties d’un homme militaire, qui fût encore, outre cela, de condition accommodable à une telle dignité. Mais Je dis, quand plus de gens en seraient dignes qu’il ne s’en trouvait autrefois, qu’il ne fallait pas pourtant s’en rendre plus libéral, et eût mieux valu faillir à n’en étrenner pas tous ceux à qui il était dû, que de perdre pour jamais, comme nous venons de faire, l’usage d’une invention si utile. Aucun homme de cœur ne daigne s’avantager de ce qu’il a de commun avec plusieurs ; et ceux d’aujourd’hui, qui ont moins mérité cette récompense, font plus de contenance de la dédaigner, pour se loger par-là au rang de ceux à qui on fait tort d’épandre indignement et avilir cette marque qui leur était particulièrement due.

Or, de s’attendre, en effaçant et abolissant celle-ci, de pouvoir soudain remettre en crédit et renouveler une semblable coutume, ce n’est pas entreprise propre à une saison si licencieuse et malade qu’est celle où nous nous trouvons à présent : et en adviendra que la dernière[1] encourra, dès sa naissance, les incommodités qui viennent de ruiner l’autre. Les règles de la dispensation de ce nouvel ordre auraient besoin d’être extrêmement tendues et contraintes, pour lui donner autorité ; et cette saison tumultuaire n’est pas capable d’une bride courte et réglée : outre ce qu’avant qu’on lui puisse donner cré-

  1. L’ordre du Saint-Esprit, institué par Henri III en 1078.