Page:Montaigne - Essais, Musart, 1847.djvu/200

Cette page n’a pas encore été corrigée
194
ESSAIS DE MONTAIGNE

tout en sa traduction, que, ou il a certainement entendu l’imagination vraie de l’auteur, ou ayant, par longue conversation, planté vivement dans son âme une générale idée de celle de Plutarque, il ne lui a au moins rien prêté qui le démente ou qui le dédise). Mais, surtout, je lui sais bon gré d’avoir su trier et choisir un livre si digne et si à propos, pour en faire présent à son pays, Nous autres ignorants étions perdus, si ce livre ne nous eût relevés du bourbier. A sa merci, nous osons à cette heure et parler et écrire ; les dames en régentent les maîtres d’école ; c’est notre bréviaire. Si ce bonhomme vit, je lui résigne Xénophon, pour en faire autant ; c’est une occupation plus aisée et d’autant plus propre à sa vieillesse ; et puis, je ne sais comment, il me semble, quoiqu’il se démêle bien brusquement et nettement d’un mauvais pas, que toutefois son style est plus chez soi quand il n’est pas pressé et qu’il roule à son aise.

J’étais à cette heure sur ce passage où Plutarque[1] dit de soi-même que Rusticus, assistant à une sienne déclamation à Rome, y reçut un paquet de la part de l’Empereur, et temporisa de l’ouvrir jusqu’à ce que tout fût fait ; en quoi, dit-il, toute l’assistance loua singulièrement la gravité de ce personnage. De vrai, étant sur le propos de la curiosité et de cette passion avide et gourmande de nouvelles qui nous fait, avec tant d’indiscrétion et d’impatience, abandonner toutes choses pour entretenir un nouveau venu, et perdre tout respect et contenance pour crocheter soudain, où que nous soyons, les lettres qu’on nous apporte, il a eu raison de louer la gravité de

  1. Traité de la Curiosité, c. 44.