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AVERTISSEMENT

philosophie, nous opposerons seulement le témoignage de trois philosophes chrétiens du grand siècle, Malebranche, Pascal et Nicole. Ces autorités ne sont pas sans quelque valeur ; et nous pouvons jurer sur la parole de tels maîtres.

« C’est la beauté, la vivacité et l’étendue de l’imagination qui font passer pour bel esprit. Le commun des hommes estime le brillant et non pas le solide, parce qu’on aime davantage ce qui touche les sens que ce qui intéresse la raison. Ainsi, en prenant beauté d’imagination pour beauté d’esprit, Montaigne avait l’esprit beau, et même extraordinaire. Ses idées sont fausses, mais belles ; ses expressions irrégulières ou hardies, mais agréables ; ses discours mal raisonnés, mais bien imaginés. On voit dans tout son livre un contraste d’original qui plaît infiniment. Il a enfin ce qu’il est nécessaire d’avoir pour imposer. Je pense avoir assez montré que ce n’est point en convainquant la raison qu’il se fait admirer de tant de gens, mais en tournant l’esprit à son avantage, par la vivacité toujours victorieuse de son imagination dominante. » (Malebranche, Rech. de la Vérité, liv. II, part. iii, ch. 3.)

« Les défauts de Montaigne sont grands. Il est plein de mots sales et déshonnêtes. Cela ne vaut rien. Ses sentiments sur l’homicide volontaire et sur la mort sont horribles. Il inspire une nonchalance du salut, sans crainte et sans repentir. Son livre n’étant point fait pour porter à la piété, il n’y était pas obligé ; mais on est toujours obligé de n’en pas détourner. Quoi qu’on puisse dire pour excuser ses sentiments trop libres sur plusieurs choses, on ne saurait excuser en aucune sorte ses sentiments tout païens sur la mort ; car il faut renoncer à toute piété, si on ne veut au moins mourir chrétiennement : or, il ne pense qu’à mourir lâchement et mollement par tout son livre. » (Pascal, Pensées, ch. xxvii, n°40).

« Montaigne est un homme qui, après avoir promené son esprit par toutes les choses du monde, pour juger ce qu’il y