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ESSAIS DE MONTAIGNE

souvent remettre notre âme en cette assiette réglée, réformée et dévotieuse, où il faut qu’elle soit pour prier ; autrement nos prières sont vicieuses. « Pardonnez-nous, disons-nous, comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés. » Que disons-nous par-là, sinon que nous lui offrons notre âme exempte de vengeance et de rancune ? Toutefois, nous invoquons Dieu et son aide au complot de nos fautes, et le convions à l’injustice. L’avaricieux le prie pour la conservation vaine et superflue de ses trésors ; l’ambitieux, pour ses victoires et conduite de sa fortune ; le voleur l’emploie à son aide, pour franchir le hasard et les difficultés qui s’opposent à l’exécution de ses méchantes entreprises, ou le remercie de l’aisance qu’il a trouvée à dégosiller un passant ; au pied de la maison qu’ils vont écheller ou pétarder, ils font leurs prières, l’intention et l’espérance pleine de cruauté, de luxure et d’avarice.

Une vraie prière et une religieuse réconciliation de nous à Dieu, ne peut tomber en une âme impure et soumise lors même à la domination de Satan. Celui qui appelle Dieu à son assistance, pendant qu’il est dans le train du vice, fait comme le coupeur de bourse qui appellerait la justice à son aide, ou comme ceux qui produisent le nom de Dieu en témoignage de mensonges.

Il est peu d’hommes qui osassent mettre en évidence les requêtes secrètes qu’ils font à Dieu. Voilà pourquoi les pythagoriciens voulaient qu’elles fussent publiques et ouïes d’un chacun, afin qu’on ne le requît de chose indécente et injuste.

Les dieux punirent gravement les iniques vœux d’Œ-