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CHAPITRE XXI.

heur et malheur, et les dieux, et autres phrases, selon sa mode. Je propose les fantaisies humaines et miennes, simplement comme humaines fantaisies, et séparément considérées, non comme arrêtées et réglées, par l’ordonnance céleste, incapable de doute et d’altercation ; matière d’opinion, non matière de foi, ce que je discours selon moi, non ce que je crois selon Dieu ; d’une façon laïque, non cléricale, mais toujours très-religieuse, comme les enfants proposent leurs essais, instruisantes, non instruisants[1].

Et ne dirait-on pas aussi sans apparence que l’ordonnance de ne s’entremettre que bien réservément d’écrire de la religion, à tous autres qu’à ceux qui en font expresse profession, n’aurait pas faute de quelque image d’utilité et de justice, et à moi avec, peut-être, de m’en taire. On m’a dit que ceux-mêmes qui ne sont pas des nôtres, défendent pourtant entre eux l’usage du nom de Dieu en leurs propos communs ; ils ne veulent pas qu’on s’en serve par une manière d’interjection ou d’exclamation, ni pour témoignage, ni pour comparaison : en quoi je trouve qu’ils ont raison, et en quelque manière que ce soit que nous appelons Dieu à notre commerce et société, il faut que ce soit sérieusement et religieusement.

Il y a, ce me semble, en Xénophon, un tel discours où il montre qu’il n’est pas aisé que nous puissions si

  1. Sous le prétexte de parler aussi d’une façon laïque, non cléricale, les philosophes contemporains se sont singulièrement émancipés. La prétention de regarder toujours la foi chrétienne comme non avenue, a fait naître les plus monstrueux systèmes ! Il ne faut donc accepter les idées de Mont ligne, sous ce rapport, qu’avec une extrême réserve.