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ESSAIS DE MONTAIGNE

et ébats. Ce n’est pas en passant, et tumultuairement, qu’il faut manier une étude si sérieuse et vénérable ; ce doit être une action destinée et rassise, à laquelle on doit toujours ajouter cette préface de notre office, Surtum corda, et y apporter le corps même disposé en contenance qui témoigne une particulière attention et révérence. Ce n’est pas l’étude de tout le monde ; c’est l’étude des personnes qui y sont vouées, que Dieu y appelle : les méchants, les ignorants s’y empirent ; ce n’est pas une histoire à conter ; c’est une histoire à révérer, craindre et adorer. Plaisantes gens, qui pensent l’avoir rendue palpable au peuple, pour l’avoir mise en langage populaire ! Ne tient-il qu’aux mots qu’ils n’entendent tout ce qu’ils trouvent par écrit ? Dirai-je plus ? pour l’en approcher de ce peu, ils l’en reculent : l’ignorance pure et remise toute en autrui était bien plus salutaire et plus savante que n’est cette science verbale et vaine, nourrice de présomption et de témérité.

Je crois aussi que la liberté à chacun de dissiper une parole si religieuse et importante, à tant de sortes d’idiomes, a beaucoup plus de danger que d’utilité. Les Juifs, les Mahométans, et quasi tous autres, ont épousé et révèrent le langage auquel originellement leurs mystères avaient été conçus ; et en est défendue l’altération et changement, non sans apparence. Savons-nous bien qu’en Basque et Bretague il y ait des juges assez pour établir cette traduction faite en leur langue ? L’Église universelle n’a point de jugement plus ardu à faire, et plus solennel. En prêchant et parlant, l’interprétation est vague, libre, rauable, et d’une parcelle ; ainsi ce n’est pas de même.