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CHAPITRE XX.

et tout cela enflé de riches et magnifiques paroles, et celles même qu’on emploie à traiter du gouvernement d’un empire.

Si est-ce que les Grecs même louèrent grandement l’ordre et la disposition que Paul Émile observa au festin qu’il leur fit au retour de Macédoine. Mais je ne parle point ici des effets, je parle des mots.

Je ne sais s’il en advient aux autres comme à moi ; mais je ne me puis garder, quand je vois nos architectes s’enfler de ces gros mots de pilastres, architraves, corniches, d’ouvrage corinthien et dorique, et semblables de leur jargon, que mon imagination ne se saisisse incontinent du palais d’Apollidon : et, par effet, je trouve que ce sont les chétives pièces de la porte de ma cuisine. Oyez dire métonymie, métaphore, allégorie, et autres tels noms de la grammaire ; semble-t-il pas qu’on signifie quelque forme de langage rare et pellegrin[1] ? ce sont titres qui touchent le babil de votre chambrière.

C’est une piperie voisine à celle-ci d’appeler les offices de notre état par les titres superbes des Romains, encore qu’ils n’aient aucune ressemblance de charge, et encore moins d’autorité et de puissance. Et celle-ci aussi, qui servira, à mon avis, un jour de reproche à notre siècle, d’employer indignement, à qui bon nous semble, les surnoms les plus glorieux de quoi l’ancienneté ait honoré un ou deux personnages en plusieurs siècles. Platon a emporté ce surnom de divin par un consentement universel qu’aucun n’a essayé lui envier : et les Italiens, qui se vantent, et avec raison, d’avoir communément l’esprit plus

  1. Étranger.