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CHAPITRE XX.

je l’ai porté par terre en luttant, il persuade à ceux qui l’ont vu qu’il n’est pas tombé, et le gagne.

Des républiques qui se sont maintenues en un état réglé et bien policé, comme la crètoise ou lacédémonienne, elles n’ont pas fait grand compte d’orateurs. Ariston définit sagement la rhétorique, « Science à persuader le peuple : » Socrate, Platon, « art de tromper et de flatter. » Et ceux qui le nient en la générale description le vérifient par tout en leurs préceptes. Les mahométans en défendent l’instruction à leurs enfants, pour son inutilité ; et les Athéniens, s’apercevant combien son usage, qui avait tout crédit en leur ville, était pernicieux, ordonnèrent que sa principale partie, qui est émouvoir les affections, fût ôtée, ensemble les exordes et péroraisons. C’est un outil inventé pour manier et agiter une tourbe et une commune déréglée ; et cet outil ne s’emploie qu’aux états malades, comme la médecine. En ceux où le vulgaire, où les ignorants, où tous ont tout pu, comme celui d’Athènes, de Rhodes et de Rome, et où les choses ont été en perpétuelle tempête, là ont afflué les orateurs. Et, à la vérité, il se voit peu de personnages en ces républiques là qui se soient poussés en grand crédit sans le secours de l’éloquence. Pompée, César, Crassus, Luciillus, Lentulus, Metellus, ont pris de là leur grand appui à se monter à cette grandeur d’autorité où ils sont enfin arrivés, et s’en sont aidés plus que des armes, contre l’opinion des meilleurs temps ; car L. Volumnius, parlant en public en faveur de l’élection au consulat faite des personnes de Q. Fabius et P. Decius : « Ce sont gens nés à la guerre, grands aux effets ; au combat du babil, rudes ; esprits vraiment consulaires : les subtils,