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CHAPITRE XVIII.

qu’on regarde hors de lui. Ceux-ci ne le font qu’à demi : ils dressent bien leur partie, pour quand ils n’y seront plus ; mais le fruit de leur dessein, ils prétendent le tirer encore du monde, absents par une ridicule contradiction.

L’imagination de ceux qui, par dévotion, recherchent la solitude, remplissant leur courage de la certitude des promesses divines en l’autre vie, est bien plus sainement assortie. Ils se proposent Dieu, objet infini en bonté et en puissance ; l’âme a de quoi y rassasier ses désirs en toute liberté : les afflictions, les douleurs leur viennent à profit, employées à l’acquit d’une santé et réjouissance éternelle ; la mort, à souhait, est le passage à un si parfait état ; l’âpreté de leurs règles est incontinent aplanie par l’accoutumance, et les appétits charnels, rebutés et endormis par leur refus ; car rien ne les entretient que l’usage et exercice. Cette seule fin d’une autre vie heureusement immortelle mérite loyalement que nous abandonnions les commodités et douceurs de cette vie nôtre ; et qui peut embraser son âme de l’ardeur de cette vive foi et espérance, réellement et constamment, il se bâtit en la solitude une vie voluptueuse et délicieuse, au-delà de toute autre sorte de vie.

Ni la fin donc ni le moyen de ce conseil[1] ne me contente ; nous retombons toujours de fièvre en chaud mal. Cette occupation des livres est aussi pénible que toute autre, et autant ennemie de la santé, qui doit être principalement considérée : et ne se faut point laisser endormir au plaisir qu’on y prend ; c’est ce même plaisir qui perd le ménager, l’avaricieux, le voluptueux et l’ambi-

  1. Le conseil de Pline à Rufus.