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ESSAIS DE MONTAIGNE

CHAPITRE XVIII.

de la solitude.


Laissons à part cette comparaison de la vie solitaire à l’active ; et quant à ce beau mot de quoi se couvre l’ambition et l’avarice, que nous ne sommes pas nés pour notre particulier, mais pour le public, rapportons-nous en hardiment à ceux qui sont en la danse ; et qu’ils se battent la conscience, si au contraire les états, les charges et cette tracasserie du monde ne se recherchent plutôt pour tirer du public son profit particulier. Les mauvais moyens par où on s’y pousse en notre siècle montrent bien que la fin n’en vaut guère. Répondons à l’ambition que c’est elle-même qui nous donne goût de la solitude : car, que fuit-elle tant que la société ? que cherche-t-elle tant que ses coudées franches ? Il y a de quoi bien et mal faire partout. Toutefois, si le mot de Bias est vrai, que « La pire part, c’est la plus grande, » ou ce que dit l’Ecclésiastique, que « De mille il n’en est pas un bon, » la contagion est très-dangereuse en la presse. Il faut ou imiter les vicieux ou les haïr : tous les deux sont dangereux, et de leur ressembler, parce qu’ils sont beaucoup, et d’en haïr beaucoup, parce qu’ils sont dissemblables. Et les marchands qui vont en mer ont raison de regarder que ceux qui se mettent en même vaisseau ne soient dissolus, blasphémateurs, méchants, estimant telle société infortunée. Par quoi Bias plaisamment, à ceux qui passaient avec lui le danger d’une grande tour-