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ESSAIS DE MONTAIGNE

die confession, et ne se devait départir de l’assurance qu’il avait de la volonté de Gracchus. Mais toutefois, ceux qui accusent cette réponse comme séditieuse n’entendent pas bien ce mystère, et ne présupposent pas, comme il est, qu’il tenait la volonté de Gracchus en sa manche, et par puissance et par connaissance ; ils étaient plus amis que citoyens, plus amis qu’amis ou qu’ennemis de leur pays, qu’amis d’ambition et de trouble ; s’étant parfaitement commis l’un à l’autre, ils tenaient parfaitement les rênes de l’inclination l’un de l’autre. Et faites guider ce harnais par la vertu et conduite de la raison, comme aussi est-il du tout impossible de l’atteler sans cela, la réponse de Blossius est telle qu’elle devait être. Si leurs actions se démanchèrent, ils n’étaient ni amis, selon ma mesure, l’un de l’autre, ni amis à eux mêmes. Au demeurant, cette réponse ne sonne non plus que ferait la mienne à qui s’enquerrait à moi de cette façon : « Si votre volonté vous commandait de tuer votre fille, la tueriez-vous ? » et que je l’accordasse ; car cela ne porte aucun témoignage de consentement à se faire, parce que je ne suis point en doute de ma volonté, et tout aussi peu de celle d’un tel ami. Il n’est pas en la puissance de tous les discours du monde, de me déloger de la certitude que j’ai des intentions et jugements du mien ; aucune de ses actions ne me saurait être présentée, quelque visage qu’elle eût, que je n’en trouvasse incontinent le ressort. Nos âmes ont charrié si uniment ensemble, elles se sont considérées d’une si ardente affection, et de pareille affection découvertes jusqu’au fin fond des entrailles l’une de l’autre, que non-seulement je connaissais la sienne comme la mienne,