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ESSAIS DE MONTAIGNE

semble apporter autant de désordre en nos consciences, en ces troubles où nous sommes de la religion, c’est cette dispensation que les catholiques font de leur créance. Il leur semble faire bien les modérés et les entendus quand ils quittent aux adversaires aucuns articles de ceux qui sont en débat ; mais, outre ce qu’ils ne voient pas quel avantage c’est à celui qui vous charge de commencer à lui céder et vous tirer arrière, et combien cela l’anime à poursuivre sa pointe, ces articles-là, qu’ils choisissent pour les plus légers, sont aucunes fois très-importants. Ou il faut se soumettre en tout à l’autorité de notre police ecclésiastique, ou du tout s’en dispenser ; ce n’est pas à nous à établir la part que nous lui devons d’obéissance. Et davantage, je le puis dire pour l’avoir essayé, ayant autrefois usé de cette liberté de mon choix et triage particulier, mettant à nonchaloir certains points de l’observance de notre Église qui semblent avoir un visage ou plus vain ou plus étrange, venant à en communiquer aux hommes savants, j’ai trouvé que ces choses-là ont un fondement massif et très-solide, et que ce n’est que bêtise et ignorance qui nous fait les recevoir avec moindre révérence que le reste. Que ne nous souvient-il combien nous sentons de contradiction en notre jugement même ! combien de choses nous servaient hier d’articles de foi, qui nous sont fables aujourd’hui ! La gloire et la curiosité sont les fléaux de notre âme ; celle-ci nous conduit à mettre le nez partout, et celle-là nous défend de rien laisser irrésolu et indécis[1].

  1. Ces observations de l’auteur sont pleines de sagesse. Grand nombre d’écrivains de nos jours pourraient se les appliquer, et se montrer moins tranchants sur des questions que souvent ils ignorent.