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ESSAIS DE MONTAIGNE

commune opinion des hommes, en ne croyant pas témérairement, ni aussi ne décroyant pas facilement, on observerait la règle de Rien trop, commandée par Chilon.

Quand on trouve dans Froissard que le comte de Foix sut, en Béarn, la défaite du roi Jean de Castille à Juberoth, le lendemain qu’elle fut advenue, et les moyens qu’il en allègue, on s’en peut moquer, et de ce même que nos annales disent que le pape Honorius, le propre jour que le roi Philippe-Auguste mourut à Mantes, fit faire ses funérailles publiques et les manda faire par toute l’Italie ; car l’autorité de ces témoins n’a pas à l’aventure assez de rang pour nous tenir en bride. Mais quoi ! si Plutarque, outre plusieurs exemples qu’il allègue de l’antiquité, dit savoir de certaine science que, du temps de Domitien, la nouvelle de la bataille perdue par Antoine en Allemagne, à plusieurs journées de là, fut publiée à Rome et semée par tout le monde le même jour qu’elle avait été perdue ; et si César tient qu’il est souvent advenu que la renommée a devancé l’accident, dirons-nous pas que ces simples gens-là se sont laissé piper après le vulgaire, pour n’être pas clairvoyants comme nous ? Est-il rien de plus délicat, plus net et plus vif que le jugement de Pline, quand il lui plaît de le mettre en jeu ? rien plus éloigné de vanité ? Je laisse à part l’excellence de son savoir, duquel je fais moins de compte. En quelle partie de ces deux là le surpassons-nous ? Toutefois, il n’est si petit écolier qui ne le convainque de mensonge, et qui ne lui veuille faire leçon sur le progrès des ouvrages de nature.

Quand nous lisons dans Bouchet les miracles des reliques de saint-Hilaire, passe ; son crédit n’est pas assez