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CHAPITRE XV.

gnaient à m’accoster. Buchanan, que je vis depuis à la suite de feu monsieur le maréchal de Brissac, me dit qu’il était après à écrire de l’institution des enfants, et qu’il prenait l’exemplaire de la mienne, car il avait lors en charge ce comte de Brissac, que nous avons vu depuis si valeureux et si brave.

Quand au grec, duquel je n’ai quasi du tout point d’intelligence, mon père desseigna[1] me le faire apprendre par art, mais d’une voie nouvelle, par forme d’ébat et d’exercice. Nous pelotions nos déclinaisons à la manière de ceux qui, par certains jeux de tablier[2], apprennent l’arithmétique et la géométrie. Car entre autres choses, il avait été conseillé de me faire goûter la science et le devoir, par une volonté non forcée et de mon propre désir, et d’élever mon âme en toute douceur et liberté, sans rigueur et contrainte : je dis jusqu’à telle superstition que, parce qu’aucuns tiennent que cela trouble la cervelle tendre des enfants de les éveiller le matin en sursaut, et de les arracher du sommeil (auquel ils sont plongés beaucoup plus que nous ne sommes) tout-à-coup et par violence, il me faisait éveiller par le son de quelque instrument ; et ne fus jamais sans homme qui m’en servît.

Cet exemple suffira pour en juger le reste, et pour recommander aussi et la prudence et l’affection d’un si bon père, auquel il ne se faut prendre s’il n’a recueilli aucuns fruits répondants à une si exquise culture. Deux choses en furent cause : en premier, le champ stérile et incommode ; car, quoique j’eusse la santé ferme et en-

  1. Fit dessein.
  2. Damier.