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ESSAIS DE MONTAIGNE

jeunesse au port de leurs vêtements ; un manteau en écharpe ; la cape sur une épaule, un bas mal tendu, qui représente une fierté dédaigneuse de ces parements étrangers, et nonchalante de l’art ; mais je la trouve encore mieux employée en la forme du parler. Toute affectation, nommément en la gaîté et liberté française, est mésavenante au courtisan ; et en une monarchie, tout gentilhomme doit être dressé au port d’un courtisan ; par quoi nous faisons bien de gauchir un peu sur le naïf et méprisant. Je n’aime point de tissure où les liaisons et les coutures paraissent ; tout ainsi qu’en un beau corps il ne faut pas qu’on y puisse compter les os et les veines. L’éloquence fait injure aux choses, qui nous détournent à soi. Comme, aux accoutrements, c’est pusillanimité de se vouloir marquer par quelque façon particulière et inusitée, de même au langage la recherche des phrases nouvelles et des mots peu connus vient d’une ambition scolastique et puérile. Puissé-je ne me servir que de ceux qui servent aux halles à Paris ! Aristophane le grammairien n’y entendait rien, de reprendre en Épicure la simplicité de ses mots et la fin de son art oratoire, qui était perspicuité de langage seulement. L’imitation du parler, par sa facilité, suit incontinent tout un peuple ; l’imitation du juger, de l’inventer, ne va pas si vite. La plupart des lecteurs, pour avoir trouvé une pareille robe, pensent très-faussement tenir un pareil corps ; la force et les nerfs ne s’empruntent point, les atours et le manteau s’empruntent. La plupart de ceux qui me hantent parlent de même que les Essais ; mais je ne sais s’ils pensent de même. Les Athéniens, dit Platon, ont pour leur part le soin de l’abondance et élégance du parler ; les Lacédé-