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CHAPITRE XV.

tilité sophistique de quelque syllogisme ? « Le jambon fait boire ; le boire désaltère : par quoi le jambon désaltère. » Qu’il s’en moque : il est plus subtil de s’en moquer que d’y répondre. Qu’il emprunte d’Aristippe cette plaisante contre-finesse : « Pourquoi le délierai-je, puisque tout lié il m’empêche ? »

Quelqu’un proposait contre Cléanthe des finesses dialectiques, à qui Chrysippe dit : « Joue-toi de ces battelages avec les enfants, et ne détourne à cela les pensées sérieuses d’un homme d’âge. » Si ces sottes arguties lui doivent persuader un mensonge, cela est dangereux ; mais si elles demeurent sans effet et ne l’émeuvent qu’à rire, je ne vois pas pourquoi il s’en doive donner garde. Il en est de si sots qu’ils se détournent de leur voie un quart de lieue pour courir après un beau mot. Je tors bien plus volontiers une bonne sentence, pour la coudre sur moi, que je ne détors mon fil pour l’aller quérir. Au rebours, c’est aux paroles à servir et à suivre ; et que le gascon y arrive, si le Français n’y peut aller. Je veux que les choses surmontent, et qu’elles remplissent de façon l’imagination de celui qui écoute, qu’il n’ait aucune souvenance des mots. Le parler que j’aime, c’est un parler simple et naïf, tel sur le papier qu’à la bouche ; un parler succulent et nerveux, court et serré ; non tant délicat et peigné, comme véhément et brusque ; plutôt difficile qu’ennuyeux ; éloigné d’affectation ; déréglé, décousu et hardi, chaque loppin y fasse son corps ; non pédantesque, non plaideresque ; mais plutôt soldatesque, comme Suétone appelle celui de Jules César ; et si ne sens pas bien pourquoi il l’en appelle.

J’ai volontiers imité cette débauche qui se voit en notre