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CHAPITRE XV.

bégayer sur le point de l’enfanter, vous jugez que leur travail n’est point à l’accouchement, mais à la conception, et qu’ils ne font que lécher cette matière imparfaite. De ma part je tiens, et Socrate l’ordonne, que qui a dans l’esprit une vive imagination et claire, il la produira, soit en bergamasque, soit par mines, s’il est muet. Il ne sait pas ablatif, conjonctif, substantif, ni la grammaire ; et si vous entretiendra tout, votre soûl, si vous en avez envie, et se déferrera aussi peu, à l’aventure, que le meilleur maître ès-arts de France. Il ne sait pas la rhétorique, ni, pour avant jeu, capter la bénévolence du candide lecteur ; ni ne lui chaut de le savoir. De vrai, toute cette belle peinture s’efface aisément par le lustre d’une vérité simple et naïve : ces gentillesses ne servent que pour amuser le vulgaire, incapable de prendre la viande plus massive et plus ferme, comme Afer montre bien clairement chez Tacite. Les ambassadeurs de Samos étaient venus à Cléomène, roi de Sparte, préparés d’une belle et longue oraison, pour l’émouvoir à la guerre contre le tyran Polycrate ; après qu’il les eut bien laissés dire, il leur répondit : « Quant à votre commencement et exorde, il ne m’en souvient plus, ni par conséquent du milieu ; et quant à votre conclusion, je n’en veux rien faire. » Voilà une belle réponse, ce me semble, et des harangueurs bien camus ! Et quoi cet autre ? les Athéniens étaient à choisir de deux architectes à conduire une grande fabrique : le premier, plus affété, se présenta avec un beau discours, prémédité sur le sujet de cette besogne, et tirait le jugement du peuple à sa faveur ; mais l’autre en trois mots : « Seigneurs Athéniens, ce que celui-ci a dit, je le ferai. » Au fort de l’éloquence de