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ESSAIS DE MONTAIGNE

tructions nécessaires. Otez toutes ces subtilités épineuses de la dialectique, de quoi notre vie ne se peut amender ; prenez les simples discours de la philosophie ; sachez les choisir et traiter à point : ils sont plus aisés à concevoir qu’un conte ; un enfant en est capable au partir de la nourrice, beaucoup mieux que d’apprendre à lire ou écrire. La philosophie a des discours pour la naissance des hommes, comme pour la décrépitude.

Je suis de l’avis de Plutarque, qu’Aristote n’amusa pas tant son grand disciple à l’artifice de composer syllogismes, ou aux principes de géométrie, comme à l’instruire des bons préceptes touchant la vaillance, prouesse, magnanimité et tempérance, et l’assurance de ne rien craindre ; et, avec cette munition, il l’envoya encore enfant subjuguer l’empire du monde, avec trente mille hommes de pied, quatre mille chevaux, et quarante-deux mille, écus seulement. Les autres arts et sciences, dit-il, Alexandre les honorait bien, et louait leur excellence et gentillesse ; mais, pour plaisir qu’il y prît, il n’était pas facile à se laisser surprendre à l’affection de les vouloir exercer.

Pour tout ceci, je ne veux pas qu’on emprisonne ce garçon, je ne veux pas qu’on l’abandonne à la colère et humeur mélancolique d’un furieux maître d’école ; je ne veux pas corrompre son esprit à le tenir à la gêne et au travail, à la mode des autres, quatorze ou quinze heures par jour, comme un portefaix ; ni ne trouverais bon, quand, par quelque complexion solitaire et mélancolique, on le verrait adonné d’une application trop indiscrète à l’étude des livres, qu’on la lui nourrît ; cela les rend ineptes à la conversation civile, et les détourne de