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CHAPITRE XV.

neux et mal plaisants, et des mots vains et décharnés, où il n’y a point de prise, rien qui vous éveille l’esprit : en celle-ci l’âme trouve où mordre et où se paître. Ce fruit est plus grand sans comparaison, et aussi sera plutôt mûri.

C’est grand cas que les choses en soient là en notre siècle, que la philosophie soit, jusqu’aux gens d’entendement, un nom vain et fantastique, qui se trouve de nul usage et de nul prix, par opinion et par effet. Je crois que ces ergotismes en sont cause, qui ont saisi ses avenues. On a grand tort de la peindre inaccessible aux enfants et d’un visage renfrogné, sourcilleux et terrible. Qui me l’a masquée de ce faux visage, pâle et hideux ? Il n’est rien plus gai, plus gaillard, plus enjoué, et à peu que je ne dise folâtre ; elle ne prêche que fêtes et bon temps : une mine triste et transie montre que ce n’est pas là son gîte.

L’âme qui loge la philosophie doit par sa santé rendre sain encore le corps : elle doit faire luire jusqu’au dehors son repos et son aise ; doit former à son moule le port extérieur, et l’armer, par conséquent, d’une gracieuse fierté, d’un maintien actif et alègre, et d’une contenance contente et débonnaire. La plus expresse marque de la sagesse, c’est une réjouissance constante ; son état est, comme des choses au-dessus de la lune, toujours serein : c’est baraoo et buralipton[1] qui rendent leurs suppôts ainsi crottés et enfumés ; ce n’est pas elle : ils ne la connaissent que par ouït dire. Comment ? elle fait état de sereiner les tempêtes de l’âme, et d’apprendre la faim et les fièvres à

  1. Deux termes de l’ancienne logique scolastiqne.