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ESSAIS DE MONTAIGNE

dre, et principalement, ceux qui ne vivent qu’en la mémoire des livres : il pratiquera, par le moyen des histoires ces grandes âmes des meilleurs siècles. C’est une vaine étude, qui veut ; mais qui veut aussi, c’est une étude de fruit inestimable, et la seule étude, comme dit Platon, que les Lacédémoniens eussent réservée à leur part. Quel profit ne fera-t-il en cette part là, à la lecture des vierge notre Plutarque ? Mais que mon guide se souvienne où vise sa charge ; et qu’il n’imprime pas tant à son disciple la date de la ruine de Carthage que les mœurs d’Annibal et de Scipion ; ni tant où mourut Marcellus, que pourquoi il fut indigne de son devoir qu’il mourût là. Qu’il ne lui apprenne pas tant tes histoires, qu’à en juger. C’est à mon gré, entre toutes, la matière à laquelle nos esprits s’appliquent de plus diverse mesure : j’ai lu en Tite-Live cent choses que tel n’y a pas lues ; Plutarque y en a lu cent, outre ce que j’y ai su lire, et à l’aventure outre ce que l’auteur y avait mis : à d’aucuns, c’est une pure étude de grammairien ; à d’autres, l’anatomie de la philosophie, par laquelle les plus abstruses parties de notre nature se pénètrent.

Il y a dans Plutarque beaucoup de discours étendus très-dignes d’être sus ; car, à mon gré, c’est le maître ouvrier de telle besogne ; mais il y en a mille qu’il n’a que touchés simplement : il guigne seulement du doigt par où nous irons, s’il nous plaît ; et se conteste quelque-fois de ne donner qu’une atteinte dans le plus vil d’un propos. Il les faut arracher de là, et mettre en place marchande : comme ce sien mot, « Que les habitants d’Asie servaient à un seul, pour ne savoir prononcer une seule syllabe, qui est, Non, » donna peut-être la matière et