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CHAPITRE XV.

et n’aient que la raison pour conduite. Qu’on lui fasse entendre que de confesser la faute qu’il découvrira en son propre discours, encore qu’elle ne soit aperçue que par lui, c’est un effet de jugement et de sincérité, qui sont les principales parties qu’il cherche ; que l’opiniâtrer et contester sont qualités communes, plus apparentes aux plus basses âmes ; que se raviser et se corriger, abandonner un mauvais parti sur le cours de son ardeur, ce sont qualités rares, fortes et philosophiques. On l’avertira, étant en compagnie, d’avoir les yeux partout, car je trouve que les premiers sièges sont communément saisis par les hommes moins capables, et que les grandeurs de fortune ne se trouvent guères mêlées à la suffisance : j’ai vu, cependant qu’on s’entretenait au haut bout d’une table de la beauté d’une tapisserie ou du goût de la malvoisie, se perdre beaucoup de beaux traits à l’autre bout. Il sondera la portée d’un chacun : un bouvier, un maçon, un passant, il faut tout mettre en besogne, et emprunter chacun selon sa marchandise, car tout sert en ménage ; la sottise même et faiblesse d’autrui lui sera instruction : à contrôler les grâces et façons d’un chacun, il s’engendrera envie des bonnes et mépris des mauvaises.

Qu’on lui mette en fantaisie une honnête curiosité de s’enquérir de toutes choses : tout ce qu’il y aura de singulier autour de lui, il le verra ; un bâtiment, une fontaine, un homme, le lieu d’une bataille ancienne, le passive de César ou de Charlemagne.

Il s’enquerra des mœurs, des moyens et des alliances de ce prince, et de celui-là : ce sont choses très-plaisantes à apprendre, et très-utiles à savoir.

En cette pratique des hommes, j’entends y compren-