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ESSAIS DE MONTAIGNE

Il est très-plaisant de voir Socrate, à sa mode, se moquant d’Hippias, qui lui récite comment il a gagné, spécialement en certaines petites villettes de la Sicile, bonne somme d’argent à régenter et qu’à Sparte il n’a gagné pas un sou ; que ce sont gens idiots, qui ne savent ni mesurer, ni compter, ne font état ni de grammaire ni de rhythme, s’amusant seulement à savoir la suite des rois, établissements et décadences des états, et tels fatras de contes ; et au bout de cela, Socrate, lui faisant avouer par le menu l’excellence de leur forme de gouvernement public, l’heure et vertu de leur vie privée, lui laisse deviner la conclusion de l’inutilité de ses arts.

Les exemples nous apprennent, et en cette martiale police et en toutes ses semblables, que l’étude des sciences amollit et effémine les courages, plus qu’il ne les fermit et aguerrit. Le plus fort état qui paraisse pour le présent au monde est celui des Turcs, peuples également duits à l’estimation des armes et mépris des lettres. Je trouve Rome plus vaillante avant qu’elle fût savante. Les plus belliqueuses nations, en nos jours, sont les plus grossières et ignorantes ; les Scythes, les Parthes, Tamburlan[1], nous servent à cette preuve. Quand les Goths ravagèrent la Grèce, ce qui sauva (eûtes les librairies d’être passées au feu, ce fut un d’entre eux qui sema dette opinion qu’il fallait laisser ce meuble entier aux ennemis, propre à les détourner de l’exercice militaire et à amuser des occupations sédentaires et oisives[2]. Quand notre roi Charles huitième, quasi sans tirer l’épée du fourreau, se vit maître du royaume de Naples et d’une bonne partie de la

  1. Tamerlan.
  2. Plusieurs auteurs citent ce fait d’après Philippe Camerarius.